Parmi les premières couleurs que les humains surent fixer, le rouge fut lié dès l’aube de l’humanité au feu et au sang, principes véhiculant une forte charge symbolique...

Au Japon, l’usage magique ou sacré du vermillon, d’origine minérale, remonte aux temps premiers, ainsi que l’attestent, par exemple, certaines figurines dogû de la période néolithique Jômon ou plus tard des poteries haniwa entourant les grandes sépultures antiques. Cette évocation de la puissance se lit également dans l’encre vermillon des sceaux personnels, encore en usage de nos jours mais réservée jadis aux seuls seigneurs, de même que les laques rouges.

Indissociable de la culture japonaise, le rouge se décline en réalité en une somptueuse palette, reflétant les subtiles nuances des teintures textiles naturelles : garance des teinturiers, bois de sappan, carthame des teinturiers en tête, de ces pigments végétaux naquit une gamme de rouges dont la beauté rimait avec… rareté. Nulle surprise que le rouge devint l’apanage des gens de la cour soumis à un protocole des couleurs très précis que détaille le Engishiki, recueil de lois et de coutumes compilé en 905, sur ordre de l'empereur Daigo. Arrivé dans l’Antiquité, le petit chardon benibana, aux pétales d’abord jaunes puis rouge-orangé, donna naissance au beni, rouge carthame, l’un des plus emblématiques de la culture japonaise. Le colorant rouge se loge dans ses pistils, d’où son ancien nom de « fleur dont on cueille la pointe », suetsumuhana, que l’autrice du Roman du Genji, Murasaki Shikibu, reprit avec malice pour nommer une princesse au nez rose. Ce récit dévoile lui aussi une perception déjà très fine des teintes à cette époque, où les manquements à l’étiquette vestimentaire et les fautes de goût pouvaient ternir une réputation. Comble du raffinement : quand une couleur est suggérée par des jeux de superposition d’habits (kasane no irome), par exemple que le blanc et le rouge carthame révèlent une nuance prunier rouge !

À l’époque prémoderne, le beni-guma, maquillage rouge du théâtre kabuki, soulignait de quelques traits un beau visage masculin ou, de manière plus appuyée, celui du valeureux héros. Tandis que des dessins (aka-e) et des vêtements rouges étaient censés amadouer le dieu de la variole. Plus près de nous, dans le monde des anime de Miyazaki Hayao, les yeux de créatures surnaturelles comme le dieu-cerf dans Princesse Mononoke ou les insectes géants dans Naäusica deviennent rouges sous l’effet de la colère ou de la force divine qui les habitent, à l’instar du redoutable serpent-dragon à huit têtes Yamata-no-Orochi de la mythologie japonaise. La riche symbolique contrastée du rouge aux racines si anciennes, n’en finit pas de se décliner à travers les siècles. Et les quelque cent termes japonais, qui désignent cette couleur de manière souvent concrète à l’aide de noms de plantes ou d’autres éléments naturels, invitent au voyage.


Brûlant d’un même sang

Rouge écarlate en nos cœurs !

Printemps de la vie

Où mon amant me rejoint

Dans la grâce de cet hommage

 Yosano Akiko, Cheveux emmêlés


Le jour où papa reviendra, je te ferai porter un kimono rouge, dit-elle plus tard en s’adressant à Kane qui mangeait sa soupe de riz. Isaku sentit encore une fois à quel point la pensée de son père ne la quittait jamais. Il devait revenir au printemps après trois ans d’absence, et il imaginait la scène de leurs retrouvailles, avec Kane dans son kimono rouge. Le vêtement dont la couleur ressortait à la lumière de la lampe à huile dans la pièce obscure semblait presque déplacé dans la maison. Lui seul était lumineux et il donnait un air de fête à la pièce. […]

Yoshimura Akira, Naufrages