Les voyageurs étrangers furent frappés au 19e siècle de l'omniprésence de la couleur bleue au Japon. C'est d'une teinture de plantes séchées et fermentées que naît cette palette bleue, riche d’une multitude de nuances vivantes qui évoluent avec le temps. L'indigo, car il s’agit surtout de lui, est un monde à lui seul.

Le pigment se rencontre à l'époque Edo (1603-1868) pour la fabrication d’encres destinées aux estampes, jusqu’à ce que le bleu de Prusse synthétique importé ne devienne abordable au début du 19e siècle. Mais c’est avant tout dans le domaine textile que règnent ces couleurs profondes, avec la teinture à l’indigo, aizome, apparue dès l’ère Heian (794-1185) à Tokushima dans l'île de Shikoku. Fort prisés des guerriers de l’époque Sengoku (1467-1568) pour leur vertu antiseptique appréciable en cas de blessure, des vêtements ainsi teints étaient portés sous les armures. Dans un même souci de protection, les pompiers urbains de l’ère Edo portaient des tenues faites de plusieurs épaisseurs de ces tissus difficilement inflammables pouvant être gorgés d’eau au préalable. L’indigo renforce en effet les fibres des tissus, mais aussi éloigne insectes et serpents, du fait d’une légère odeur résiduelle de fermentation, tout en étant doux pour la peau, excusez du peu ! Nulle surprise donc que ces tissus conquirent le cœur des classes populaires des villes et des campagnes, se déclinant aussi bien en vêtements de tous les jours, de travail, qu’en divers éléments du logis (rideau noren, tabliers, torchon, serviettes tenugui, coussin, moustiquaire…). La broderie sashiko, très épurée à base de fil blanc qui rehausse la beauté du bleu, est d’ailleurs née du ravaudage de ces textiles si pratiques et appréciés pendant les hivers fortement enneigés de certaines régions agricoles.

L'indigo continue de nos jours à magnifier des scènes de vie et à irriguer de nombreux aspects de la culture japonaise, Dans son berceau de toujours, à Tokushima, que traverse une rivière le long de laquelle se succèdent encore plusieurs ateliers de teinture, les utilisations traditionnelles se mêlent à des usages plus modernes. Il était de coutume de dire que les teinturiers, qui buvaient des infusions d'indigo, avaient une santé robuste. L'indigotier, riche en polyphénols et fibres, entre à présent dans la composition d'autres boissons, voire s'invite dans certains plats de la région. Les artisans du cuir travaillent aussi avec cette couleur dont la patine charme, des parquets de sol se déclinent en bleu apaisant... Quant aux jeans faits main, dont les ateliers se concentrent plutôt de l'autre côté de la mer intérieure, autour de Okayama, leur réputation n'est plus à faire. L'indigo, couleur emblématique bien enracinée dans la culture japonaise s'adressant aux cinq sens, n'a pas fini d'émerveiller.

© Sumi Hisako