Cette étonnante exposition illustre un célèbre récit médiéval japonais dont les plus spectaculaires épisodes sont reconstitués grâce à l’installation de deux cent cinquante sculptures en papier japonais, d’une hauteur moyenne de quarante centimètres, conçues par l’artiste contemporain Kiyoharu Uchiumi. « Du monastère de Gion le son de la cloche, de l’impermanence de toutes choses est la résonance. Des arbres shara la couleur des fleurs démontre que tout ce qui prospère nécessairement déchoit. »
Ainsi commence le Dit des Heike (Heike monogatari), chef-d’oeuvre de la littérature japonaise du moyen âge qui narre la grandeur et la chute du clan Heike au cours du XIIe siècle. Traditionnellement déclamé par des moines aveugles, ce magnifique récit épique fut rapidement diffusé dans tout le pays. Ces récitants jouaient du biwa, sorte de luth, dont la sonorité scande les versets d’un texte harmonieusement cadencé (rythme7-5). Encore de nos jours, le Dit des Heike est une source d’inspiration inépuisable et vivace.
Alors que les récits guerriers opposent généralement les vainqueurs aux perdants, cette épopée focalise le récit sur la déchéance d’un clan un temps tout-puissant. Elle magnifie la grandeur de la défaite et en célèbre la beauté tragique. Le foisonnement de complots, batailles, amours impossibles, séparations et morts bouleverse le destin des multiples personnages. Ces événements sont perçus à la lumière du concept bouddhique de « l’impermanence » qui leur confère une dimension philosophique ainsi résumée dans cette phrase du début du premier livre : « L’orgueilleux certes ne dure, tout juste pareil au songe d’une nuit de printemps. L’homme valeureux de même finit par s’écrouler ni plus ni moins que poussière au vent. »
Le Japon féodal du 12e siècle, à la fin de l’époque de Heian, voit ses structures sociales sensiblement transformées. L’aristocratie est confrontée à un inévitable déclin, la croyance en l’avènement prochain du Mappô (Période finale de la Bonne Loi) provoque une peur croissante dans les milieux bouddhiques. Parallèlement les guerriers deviennent la classe dominante de cette nouvelle société. Le clan guerrier Heike, commandé par Taira no Kiyomori, ne remet pas en question le système impérial mais souhaite détenir le pouvoir et profiter de ses plaisirs et de ses privilèges. « Qui point n’appartient au clan des Heike doit être tenu pour moins qu’un homme ! ». La conduite tyrannique de ce clan envenime ses rapports avec l’aristocratie représentée par l’empereur retiré Goshirakawa. Les conflits d’intérêt et les nombreux complots provoquent non seulement la chute des Heike mais aussi celle de l’aristocratie, ce qui entraîne la création du shogunat de Kamakura par Minamoto no Yoritomo.
Kiyoharu Uchiumi a créé ses personnages en utilisant exclusivement du papier japonais. Regroupées en douze scènes, ces figurines, fruit de savants pliages et de délicates mises en volume, retracent les épisodes majeurs du Dit des Heike : « La grandeur du clan Heike », « L’affaire Shishi no Tani », « L’incendie de Nara », « Le clan Heike fuit la capitale », « Les batailles d’Ichi no Tani, Yashima et Dan no Ura », etc. Rarement colorées, ses sculptures font ressentir la souplesse de ce matériau et leur blancheur si particulière, parfois rehaussée de touches vertes issues de l’oxydation du cuivre, absorbe la lumière.
La mise en scène théâtrale de ces personnages, qui n’est pas sans rappeler les anciens rouleaux peints, propose au visiteur de « lire » l’épopée des Heike d’une façon ludique et originale.
Voici ce qu’a dit le philosophe Takeshi Umehara à propos de ces oeuvres :« Kiyoharu Uchiumi s’exprime grâce à des procédés symboliques. Les couleurs des vêtements, d’une grande sobriété, utilisent essentiellement les tons écrus et naturels. Ainsi les rouges et bleus n’y apparaissent jamais. Les attitudes figées des personnages expriment admirablement la dignité des nobles affrontant la déchéance. Incontestablement, ces sculptures représentent des êtres humains qui ont vécu. Cependant, derrière ces personnages, l ?ombre de la mort semble déjà s’avancer. Nous sommes en présence d’oeuvres étranges et sombres. »
Présenté de façon théâtrale, l’ensemble est étonnant, inédit et d’une très grande finesse. Libération
Un opéra épique aux actes minutieusement mis en scène. Une exposition insolite. On est fasciné par la mise en scène, le réalisme des traits, la beauté des costumes. La Tribune Saisissant. D’une grande finesse d’exécution. L’Express Extraordinaire chronique en papier du Japon médiéval. Le Monde Un des must de ce début 2000. art actuel